Chapitre 1
L’ÉVASiON
À la connaissance des hommes, aucun monde, hormis le leur, n’existe.
Mais l’histoire qui va suivre vous démontrera qu’ils se trompent lourdement.
L’humanité n’a jamais pensé qu’elle n’avait peut-être pas les capacités
requises pour voyager au travers des différents univers, voilà tout.
Notre histoire commence dans le monde des hommes. Une journée
comme les autres est sur le point de débuter pour les habitants d’une
bâtisse se dessinant au loin, un orphelinat. Des lumières s’allument aux
fenêtres, les unes après les autres, parallèlement, le soleil commence à
poindre. Le matin étant là, un certain remue-ménage semble croître entre
ces murs.
Cette association de vie collective abrite environ trois cents pensionnaires.
Ce bâtiment se trouve en France, dans un département portant le
nom de Charente. La ville la plus proche se nomme Angoulême, à une
quarantaine de kilomètres.
C’est une construction constituée de trois étages. Elle s’étend sur un
hectare, encadrée de plusieurs mètres carrés de cour. Aux yeux des jeunes
gens qui vivent dans cet orphelinat, il paraît usé et vieux de plusieurs
milliers d’années. Mais en réalité, il ne date que d’une décennie tout au
plus. Il peut être comparé à une prison réaménagée.
La seule personne qui doit retenir notre attention, se trouve être
un jeune garçon, assis sur le bord de son lit et qui a énormément
de mal à émerger de son sommeil. Se frottant les yeux, il tente de
reprendre ses esprits après cette nuit où il n’a pas réussi à bien dormir.
Aujourd’hui, il pense à ce qui va arriver d’ici peu. Il se trouve que
son anniversaire approche à grand pas, comme tous les ans, personne
ne le lui fêtera…
Il sera âgé de quatorze ans, il est plutôt grand pour son âge. Ses
cheveux sont comparables au noir des plumes de ces oiseaux de
mauvais augure, que l’on nomme corbeaux. La couleur de ses yeux
est assez proche du bleu de la mer Méditerranée, par temps calme.
La majorité des pensionnaires a déjà vu ne serait-ce qu’une photographie
de ses parents, alors que lui n’avait pas la moindre idée de
leur apparence. En effet, d’après ce que le jeune garçon savait, sa
mère était décédée au moment de le mettre au monde et son père ne
s’était jamais fait connaître.
Tout ce qui lui restait était un vieux tee-shirt bleu rapiécé. Un
logo était calligraphié sur ce morceau d’étoffe. Il représentait le
symbole de l’éternité. Selon le personnel de l’orphelinat qu’il avait
interrogé, ce vêtement était la seule chose qui l’enveloppait le jour
où il fut déposé devant la porte de leur organisme. Il avait certainement
appartenu à sa mère. Au fil du temps, son odeur s’était
dissipée. Mais avec un petit effort de mémoire olfactive, il pouvait
se souvenir du parfum de sa mère ou peut-être n’était-ce que son
imagination ? Enfin, c’est pour cette raison qu’il le portait dès qu’il
en avait l’occasion.
Le jeune garçon était assez mal vu des autres élèves ainsi que des
responsables. Tout cela pour une simple raison, il avait toujours la tête
dans les nuages et rêvait à des choses que les autres trouvaient farfelues.
Son plus grand rêve était de devenir romancier. Pour acquérir un
maximum de vocabulaire, il essayait de lire le plus de livres possible,
enfin, ceux qui se trouvaient dans la bibliothèque de l’orphelinat.
Le sanctuaire du garçon était immense à ses yeux. Des étagères
s’alignaient parallèlement les unes aux autres. Divers panneaux
annonçaient les styles de livres de chaque côté du dédale d’ouvrages.
Il lisait surtout des romans fantastiques.
Toujours assis sur le bord de son lit, il parcourut le contenu de
sa table de nuit. Cette dernière était dans un désordre sans nom.
Des feuilles de papiers étaient laissées à l’abandon, au-dessus de
ses brouillons, étaient posées ses lunettes ainsi qu’une bombe de
Ventoline.
Il prit ses binocles et les posa sur son nez. Il commençait juste à se
réveiller. Il prit appui sur ses pieds et se leva pour aller sous la douche.
Ses camarades de chambrée sortaient eux aussi de leur sommeil, les
uns à la suite des autres. Tous paraissaient avoir un brouillard devant
les yeux. Chose normale puisque la veille, ils avaient tous participé à
un repas organisé pour le départ à la retraite de l’un de leurs professeurs.
Le seul que le jeune garçon appréciait, c’était la personne qui
lui donnait ses cours de français.
Une fois lavé et habillé, il descendit pour prendre son petitdéjeuner.
Arrivé dans le réfectoire, il se dirigea vers la seule élève
qu’il considérait comme une amie, chose qui se trouvait réciproque.
Il la salua et ils prirent leur plateau afin de pouvoir manger leur
premier repas de la journée.
La jeune fille se nommait Tia. Elle possédait de magnifiques cheveux
blonds bouclés qui s’étalaient comme un champ de blé, des yeux bleus
semblables à un ciel d’été, une bouche en cœur avec des lèvres qui
paraissaient être acidulées comme la peau d’un brugnon que l’on vient
de croquer et un teint de pêche très pur. Elle était presque aussi rêveuse
que le jeune garçon, malgré tout, c’est elle qui le ramenait sur terre, la
plupart du temps par un tendre baiser sur sa joue rougie de pudeur.
Ils prirent place à table, en général personne ne voulait être vu
avec eux, pour des histoires de réputation. De ce fait, ils étaient rarement
accompagnés durant leur repas. Le jeune garçon étant, comme
à son habitude, la tête dans la lune, Tia l’interpella :
— Thomas, à quoi penses-tu ?
— Rien de spécial, ou plutôt si, mais je t’en parlerai quand nous
serons seuls.
— C’est le cas, regarde autour de toi, presque personne n’est
encore descendu pour prendre le petit-déjeuner.
— Bon, si tu y tiens.
Il baissa la voix et continua :
— Je repensais à ce que l’on a parlé il y a quelques jours, le fait
de partir d’ici…
Effectivement, trois jours plus tôt, la jeune fille avait lancé l’idée
de s’enfuir de cet endroit où personne ne les appréciait à leur juste
valeur. Réfléchissant aux différentes propositions, Tia dit :
— Nous devrions, peut-être, trouver les plans des bâtiments, pour
voir s’il y a une sortie que nous ne connaissons pas !
— Oui, ainsi que les mouvements de surveillance assurés parifférentes propositions, Tia dit :
— Nous devrions, peut-être, trouver les plans des bâtiments, pour
voir s’il y a une sortie que nous ne connaissons pas !
— Oui, ainsi que les mouvements de surveillance assurés par
les professeurs, répondit Thomas sur un ton qui laissait entrevoir sa
détermination.
Durant leur repas, ils énumèrent diverses possibilités. Peut-être en
passant par la grille imposante de la cour, tout simplement. Ou encore,
une fois les plans récupérés, fuir en escaladant la haute muraille qui
clôturait le parc. Mais toutes ces idées n’étaient pas réalisables, il leur
fallait un stratagème sans faille et certainement plus discret. Tout en
poursuivant leur vie actuelle dans cet enfer, ils continuèrent à réfléchir
aux différents moyens de récupérer les plans ainsi que les tours
de garde.
Les cours terminés, ils se rendirent au réfectoire. Une bande de
gros bras, des garçons âgés de deux ans de plus que Thomas arrivèrent
pour lui chercher des ennuis, comme à leur habitude. C’était
toujours les mêmes qui le prenaient pour cible. À chaque fois que
le jeune garçon croisait ce groupe dans les couloirs de l’orphelinat,
il pouvait être sûr qu’il allait devoir se préparer aux pires humiliations.
Ils étaient nettement plus grands et plus forts que lui, de ce fait,
Thomas ne pouvait pas réussir à se défendre.
Cette fois, rien d’extraordinaire ne se produisit. Juste en passant
devant le jeune garçon, le chef de ces petites frappes lui renversa son
plateau et tous les membres du groupe se mirent à rire. Ce petit rituel
était monnaie courante depuis très longtemps, peut-être même aussi
loin que pouvait remonter la mémoire de Thomas. Mais à ce jour, il
ne pouvait pas en subir davantage. Il était prêt à bondir à la gorge
du colosse, mais au dernier moment, Tia s’interposa, calma son ami.
Le groupe passa son chemin en émettant quelques railleries. Cette
altercation fut l’élément déclencheur, la prise de conscience qu’il leur
fallait quitter l’orphelinat au plus vite.
Quand ils trouvèrent la façon de s’emparer des plans et des différents
tours de garde, Tia fut adoptée, laissant Thomas seul contre
tous. La nouvelle famille de la jeune fille semblait bien à tous points
de vue. Les bruits de couloir circulaient extraordinairement vite dans
l’orphelinat. Selon la rumeur, les futurs parents ne pouvaient pas
avoir d’enfant et c’était pour cette raison, qu’ils venaient adopter une
jeune fille.
Au coin d’un couloir, juste avant le départ de Tia, Thomas put
les apercevoir. La femme était magnifique, elle portait un superbe
manteau d’hermine qui courait sur la quasi-totalité de son corps, sur
sa tête était posée une toque en fourrure. La femme et la jeune fille se
ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Une personne ne connaissant
ni l’une ni l’autre, aurait pu croire à leur lien mère-fille.
L’homme, quant à lui, était vêtu d’un veston très chic qui avait
certainement dû coûter très cher. Hormis tous ces signes de richesse,
ils semblèrent, aux yeux du jeune garçon, bienveillants. Il prit Tia
en aparté et lui jura de la retrouver dès qu’il se serait évadé de cette
« prison ». Pour lui, ce fut le début d’une longue histoire qu’il ne
s’attendait pas à vivre.
Grâce à la tristesse de son âme, il trouva le courage de mettre
son plan à exécution, la vie n’était plus possible sans Tia. Les battements
de son cœur lui rappelaient à chaque seconde le départ de sa
camarade. Il commença donc par se procurer les tours de garde des
professeurs.
Chaque nuit, trois enseignants jouaient les gardiens de cellules.
Ce système fut mis en place à la suite de la tentative de fugue de l’un
des pensionnaires. Ce soir-là, il entra dans la salle des professeurs,
en évitant les trois geôliers qui allaient et venaient dans le dédale de
couloirs. Ce n’était pas la première fois qu’il y pénétrait, à chaque
punition, c’était en ce lieu qu’il fallait se rendre et Thomas ne comptait
plus le nombre de fois qu’il avait été puni.
Il fouilla dans plusieurs secrétaires, ainsi que dans différents classeurs
et ce ne fut que dans le dernier meuble qu’il trouva les horaires
et les lieux des rondes. Les vigiles devant repasser devant la salle
dans trente-trois secondes, il resta là en attendant que la voie soit
libre.
Il laissa vagabonder son regard dans le noir lunaire de la pièce. Il
arrêta ses yeux sur la décoration, depuis sa dernière venue, les murs
avaient subi pas mal de changements. Ils étaient ornés de posters
divers et variés, alors que la dernière fois, il n’y avait que des plannings
à leurs emplacements. Des notes sur des post-it étaient dédiées
à différents enseignants. Maintenant, il ne lui manquait plus que le
plan de l’orphelinat, cela lui apparut plus complexe que la tâche qu’il
venait d’accomplir.
Vers trois heures du matin, Thomas descendit du dortoir pour aller
dans le bureau du directeur, récupérer les plans, lui permettant de
quitter cet enfer. Il descendit le vieil escalier de chêne, une marche
après l’autre, dans l’appréhension d’un bruit suspect. Le vieil escalier
grinçait, pas après pas, il se serait cru dans un vrai film d’horreur.
Dans son esprit, un monstre pouvait surgir à chaque marche pour lui
agripper les chevilles. Il arriva devant la porte qu’aucun élève n’avait
franchie de son plein gré, c’était le bureau du directeur. Il ouvrit la
porte qui lui paraissait infranchissable jusqu’alors. Il s’avança vers
l’imposant bureau de merisier marron incrusté de nœuds de bois, qui
était surplombé d’une immense lampe de bureau d’une couleur bleu
nuit. Enfin, après de longues minutes de recherche dans les tiroirs
du mobilier, il trouva la clé de son évasion, le plan, l’architecture de
l’orphelinat. Ces dessins représentaient pour lui sa quête du Graal. À
la vue de ce document, il ne fut pas découragé. Pourtant, les couloirs
se croisaient en tous sens sur cette carte. Heureux de sa fantastique
découverte, il ne perdit pas une seconde pour mettre son projet à
exécution.
En ce soir du 21 mai, la nuit de son quatorzième anniversaire,
Thomas se décida à quitter l’orphelinat. Il se prépara vers vingt-trois
heures quarante-cinq, enfila son jean, le tee-shirt de sa mère et ses
chaussures creusées aux semelles. Il descendit dans le couloir de
couleur gris pâle, dont le plancher craquait au moindre de ses pas.
Au loin, il aperçut une silhouette. Sa première pensée fut pour cette
personne, ce devait être l’un de ses professeurs. Cependant, avec un
regard plus attentif, il ne put le reconnaître, c’était un homme blond,
les yeux bleu nuit et les oreilles en pointes.
Qui était-ce et surtout, était-ce un homme ?
Un rayon de lune traversant le couloir par une lucarne surélevée,
aussi lumineux qu’un rayon de soleil, permit à Thomas de mieux
discerner cet être. Surpris, il s’aperçut que cette créature possédait
une épée à la ceinture, un arc ainsi qu’un carquois doré. Les flèches
qu’il avait à son dos étaient ornées à leur extrémité d’une feuille de
bouleau. Cependant, Thomas n’aurait su dire de quel végétal il s’agissait.
Le torse de cet être vivant était enveloppé dans une sorte de
bandage, son pantalon était aussi ample qu’une toile de tente quatre
places, mais surtout, son corps était recouvert d’une pigmentation
verdâtre.
Thomas fit volte-face, cherchant où se cacher. Derrière lui, il vit une
armoire en bois brut, qui lui parut d’une solidité à toute épreuve. Elle
était d’une imposante stature. Il fila s’y réfugier. L’être se rapprocha
dangereusement du meuble en question ; un frisson parcourut le jeune
garçon. La créature passa devant l’armoire et s’arrêta quelques pas
plus loin, sans se retourner vers elle, il dit :
— Viens petit, suis-moi !
Thomas ne bougea pas et continua son observation ; étrangement,
la peur l’avait quitté. Pourquoi cette chose lui en voulait personnellement?
Il n’était qu’un enfant parmi tant d’autres.
Un trou noir, semblable à ces dépressions de vide se formant dans
l’espace à la mort d’une étoile, venait d’apparaître. Cette « porte »
se trouvait au milieu du couloir, et la créature y entra sans difficulté.
Le garçon attendit quelques minutes, puis sortit de sa cachette avec
une légère appréhension qu’il n’avait jamais ressentie. Stupéfait par
ce qu’il voyait, il recula de quelques pas, effrayé à la vue de ce trou
béant. Soudain, il fut comme aspiré par cette chose qui ne ressemblait
à rien de ce qu’il connaissait.
Il ne bougea pas les pieds mais avança malgré tout.
— Au secours !Au secours !cria-t-il.
Et, en une fraction de seconde, il lui parut tomber dans un trou
sans fin. Il tombait dans l’obscurité, précipité dans un abîme
si profond que même son souvenir de la lumière n’existait plus.
Même sans rien distinguer de ce qui l’entourait, Thomas savait
qu’il traversait une succession de couches. Par éclairs, surgissaient
des ténèbres encore plus insondables, différents faisceaux
lumineux.
Puis, il heurta quelque chose de solide et cette abominable
plongée dans le vide cessa brutalement. Ses genoux s’écrasèrent
sur des pavés humides. Thomas releva la tête et regarda autour de
lui, le paysage était d’un noir corbeau. Sans aucun doute, il venait
de pleuvoir, mais où se trouvait-il ? Enfin, le contrecoup de ses
émotions le plongea dans une profonde léthargie.
Quand il se réveilla, il était entouré d’arbres, plus gigantesques
les uns que les autres, qui pour lui, représentaient les dents du
monde qui l’emprisonnaient. Il était perdu, il ne savait absolument
pas où il se trouvait. Depuis le jour de sa naissance, il n’avait
connu que l’orphelinat. Même s’il voulait s’en échapper, c’était
le seul endroit au monde qu’il considérait comme son foyer. À ce
moment précis, il aurait donné n’importe quoi pour retrouver cet
enfer. Il se leva, autour de lui, une cité traversée par un fleuve,
surplombée d’un magnifique pont, s’exposait. Dans les rues, pas
de voitures, les personnes semblaient flotter les unes à côté des
autres, mais aucune n’était vêtue comme la créature qui se tenait
à ses côtés.
Le jeune garçon réalisa qu’il était au milieu d’une rue pavée,
bordée par deux gigantesques dragons incrustés de rubis et autres
pierres précieuses. Les deux créatures paraissaient le regarder
lui, mais il se doutait bien que cela ne pouvait venir que de son imagination.
Ce flux d’informations, ainsi que cette vision lui
semblaient surréalistes. Il se serait cru dans l’un de ses romans
préférés : « La pierre philosophale et l’enfant ».
Mais ici, c’était lui qui se trouvait à la place de l’enfant et cela
n’avait rien de réjouissant.